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PSYCHIATRIE : AIDE OU TRAHISON ?
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PSYCHIATRIE : AIDE OU TRAHISON ?
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28 août 2006

Santé mentale à l’école

par Claire Blain, psychologue en CMP (centre médico-psychologique)

Le 11 décembre 2003, un texte de 50 pages est publié dans le numéro 46 du volumineux et hebdomadaire Bulletin officiel de l’éducation nationale par les ministères conjoints de la santé et de l’éducation, adressé aux recteurs d’académie, inspecteurs, directeurs et chefs d’établissement. Il s’agit de la circulaire n° 2003-210 portant le titre : La santé des élèves, programme quinquennal de prévention et d’éducation. Ce texte, qui se situe dans la continuité des circulaires sur la santé des élèves, témoigne de la place grandissante, tentaculaire que tend à prendre la notion de “santé mentale” dans les préoccupations de nos législateurs de l’éducation. Santé mentale dont les “troubles” seraient à traiter sur le même plan qu’un autre problème de santé physique. Un mot d’ordre est lancé : parvenir à une mobilisation générale pour le repérage des troubles et l’accès aux soins. L’accent est mis sur les troubles psychiques, bête noire et coupable qu’il faut tuer dans l’œuf. Les familles sont concernées, mais aussi et surtout l’école. L’intention est louable, mais à quel prix? […]

Ainsi nous y sommes, les ministères missionnent l’école d’être le principal agent de repérage des troubles psychiques, de prescription de soins, de contrôle des suivis, le tout selon les standards de la santé mentale internationale.  […]

Les rapports sont unanimes. Ils reprennent tour à tour le même cri d’alerte : le dépistage précoce est essentiel au pronostic. Une fois le trouble repéré, il faut le traiter de manière adéquat le plus vite possible. Il faut former tous les professionnels de l’enfance aux instruments d’évaluation préalablement validés. Au nom des risques suicidaires, la circulaire 210 indique que “tous les personnels - personnels de direction, d’enseignement, d’éducation, d’assistance éducative, d’accueil, de restauration, sociaux et de santé, administratifs et techniques, ainsi que les psychologues scolaires et les conseillers d’orientation-psychologues - doivent être attentifs aux signes de mal-être des enfants et des adolescents” (B.O. n° 46, p. VI). Secrétaires, proviseurs, cuisiniers : tous psys ! […]

Les experts de l’Académie de Médecine quant à eux, ne mâchent pas leur mot : “La maternelle et l’école élémentaire sont des lieux propices à la détection des anomalies du développement psychique” et ils préconisent l’élaboration d’instrument d’évaluation adapté à l’usage du personnel (Rapport adopté en juin 2003, Sur la santé mentale de l’enfant de la maternelle à la fin de l’école élémentaire (p. 5). L’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) enfonce le clou. Dans son rapport rendu en février 2003 intitulé La prévention sanitaire en direction des enfants et adolescents, on lit que “Le principal problème de l’institution scolaire est l’insuffisance de formation des maîtres en matière d’éducation et de promotion de la santé, comme de repérage des signes de la souffrance psychique” (p. 6). On trouve également page 43 du même rapport que “la crainte évidente de nombreux enseignants est de se trouver contraints d’abandonner leur métier au profit d’un métier d’animateur, de psychologue ou d’assistance sociale. C’est là que réside le principal malentendu (...). Il doit être clairement affirmé que la prise en compte des données de santé physique et psychique ne saurait en aucun cas le conduire à exercer un autre métier que le sien”. Dire une chose et son contraire, c’est un langage auquel nos experts nous habituent. […]

Le dépistage précoce, rendu impératif par les chiffres catastrophistes, va de pair avec le renforcement des collaborations. Tout d’abord, il s’agit d’une collaboration avec les familles, le rapport IGAS 2003 insiste sur le “soutien aux parents”, particulièrement pour les populations à risques, notamment grâce à “l’élaboration d’outils méthodologiques partagés de surveillance et de suivis des familles fragilisées ou en situation sociale difficile” (p. 61). Les deux experts de l’Académie de Médecine proposent que la collaboration prenne les atours d’une formation. Dans leur générosité, ils nous gratifient d’une jolie redondance : “l’école maternelle devrait être un lieu de formation privilégié et naturel pour la formation à la parentalité” (p. 6). […]

Le contrôle des suivis

Sur ce point, la circulaire 210 de l’Education Nationale dépasse notre imagination. On lit dans une des nombreuses annexes du texte page XXIII, que “en cas de dépistage d’un trouble la MPSFSE [Mission de Promotion de la Santé en Faveur des Elèves] transmet aux parents un “ avis ” lui indiquant la nécessité de consulter un professionnel de santé selon le problème dépisté. La famille, ou le professionnel consulté, doit avertir par “Retour” que l’enfant a bien été vu par le système de soins. S’il n’y a pas de “Retour” (...) la MPSFE effectue un “Rappel” écrit ou oral à la famille lui indiquant la nécessité de consulter. Si, après ce rappel, il n’y a toujours pas de “Retour”, il faut intervenir auprès de la famille”. C’est là qu’intervient le médiateur. “Lors du bilan systématique, le médecin scolaire, en donnant l’avis à la famille, la prévient d’emblée qu’en cas de non-retour, un “médiateur“ prendra contact avec elle afin de l’aider à surmonter des difficultés éventuelles” (p. XXV). Ce médiateur, qui pourra être un personnel de la CPAM, sera muni d’un “ordre de mission” comprenant des données très succinctes sur l’enfant”. Il sera chargé de “contacter la famille de l’enfant afin de vérifier les raisons du non-retour puis l’aider à accéder aux soins si nécessaire”. Ici la collaboration prend les allures d’un forçage.

Dans ce même texte, il est question d’informatiser les données à disposition du médiateur, et de rénover les carnets de santé dès la rentrée 2004. À son propos, les experts de l’Académie de Médecine affirment que “ses indicateurs de développement psychique devraient être évalués et éventuellement modifiés. À coté de lui, un dossier médical doit être proposé et formalisé. Il pourrait être informatisé afin de favoriser sa consultation, sous couvert du secret médical (...) et il est indispensable que la CNIL [Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés] revienne sur sa décision de détruire les dossiers à six ans afin de permettre la comparaison des examens.” (p. 12) Le rapport de l’IGAS 2003 préconise la création “d’une page spécifique de questionnement sur le développement psychique affectif, cognitif et relationnel de l’enfant” et ajoute une note marketing à l’attention des familles illettrées : le carnet de santé “devrait être plus largement illustré sous forme de bande dessinée” (p. 62).

Des programmes de prévention généralisée

Le personnel éducatif ne devra pas seulement dépister, il devra faire de la “prévention généralisée”. En quoi consiste-elle ? Sur ce point le rapport INSERM 2003 recommande la “formation de la communauté éducative aux programmes de développement des compétences psychosociales”. Un peu plus loin, on nous rappelle la définition de ce terme selon l’OMS : “c’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental en adoptant un comportement approprié et positif”. L’estime de soi en est le concept-clef. Ces programmes sont d’origine nord-américaine et s’utilisent en milieu scolaire. Le premier s’appelle “Mieux vivre ensemble dès l’école maternelle”. Il se décline en fiches selon les niveaux de classe et se déroule en courtes séquences hebdomadaires. Les objectifs sont les suivants : repérer les sentiments très fréquemment éprouvés, savoir les nommer, associer les sentiments et les situations qui les favorisent, savoir relativiser un échec pour garder confiance en soi, être tolérant vis-à-vis des autres. Le programme utilise des lectures de textes, pictogrammes, diapo, vidéo, expression orale, mimes, dessins... (INSERM 2003, p. 181-185). Ce programme est également recommandé par le plan Cléry-Melin. […]

Le refrain de nos experts pourrait être entendu comme ceci : avec la mission de promotion de la santé mentale, les enseignants, n’auront plus à enseigner, ils se feront limiers, puis éducateurs cognitivo-comportementaux, sous l’œil expert d’un médecin scolaire, assisté de médiateurs de caisses d’assurances et du personnel de soin spécialisé des CMP/CMPP.

Au-delà du coup porté à l’éthique de nos pratiques, nous pouvons nous interroger : quelle école pour nos enfants, quel lien social pour l’Homme de demain ? De l’Homme, nos experts parlent bien peu. En effet, on remarquera que le rapport INSERM 2002 se termine exactement sur cette ultime recommandation : “développer des modèles animaux d’anomalies du développement” afin de “tester certaines thérapeutiques” et de “poser de nouvelles hypothèses étiopathogéniques testables chez l’animal” (p. 838).

© Claire Blain. Tous droits réservés
Texte intégral


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